J'ai revu le film en Blu Ray. J'ai revu le film en salle. A quelques semaines d'intervalle.
Mais je ne sais toujours pas avec certitude ce que raconte ce faux remake du "Salaire de la peur" réalisé en 1953 par Henri-Georges Clouzot. Un sentiment persiste, celui de se retrouver devant le 7ème film de William Friedkin aussi désemparé que le père Merrill face au démon Pazuzu qui hantait "L'exorciste", le précédent film du cinéaste. Comme si quelque chose dans "Sorcerer" ne nous renvoyait qu'à nous-mêmes.
En fait, la projection laisse nos yeux exsangues. Difficile pour le regard au sortir du film de se trouver un objet suffisamment fort pour s'y accrocher. C'est même là - me semble-t-il - ce que montre le film. Je ne sais toujours pas ce que raconte "Sorcerer" mais je sais parfaitement ce qu'il montre : quatre raccords regards empêchés, impossibles, c'est à dire quatre hommes dont la vie avec les autres est terminée.
Le prologue nous fait assister à quatre refus successifs : ceux d'un regard qui serait rendu. Au Mexique, le tueur interrompt un raccord regard entre lui et sa victime, les lunettes noires de l'assassin empêchant de toute façon qu'il advienne pleinement. A Jérusalem, le terroriste palestinien réfugié dans l'anonymat de la foule ne sera pas vu par son complice et sans doute ami emmené par les autorités israéliennes. En France, après le suicide de son beau-frère, le banquier malhonnête n'aura pas la force d'affronter le regard de sa femme et l'observera un instant de loin avant de disparaître. Aux États-Unis enfin, le gangster en fuite tuera sur le coup ses trois complices dans un accident de voiture dont il sera le seul survivant.
Que vont aller chercher à l'autre bout du monde ces quatre-là ? Le face à face avec soi-même ? Pas vraiment. Il avait déjà lieu avant la fuite. Il était déjà problématique. Et il le restera jusqu'à la fin alors que le champ contiendra son propre contre-champ, vide.
Non, ce qu'il faut aller chercher à l'autre bout du monde, au fin fond de l'enfer d'une dictature capitaliste et pétrolifère, ce qui est contenu entre deux regards portés sur soi, c'est le possible d'un ultime regard rendu, d'un dernier raccord entre nos yeux et ceux de l'autre.
"Sorcerer" n'est rien d'autre que la quête pour quatre hommes déjà morts de la sensation fugitive d'être encore un vie une dernière fois. La fameuse nitroglycérine est ainsi et avant tout l'instrument de mesure de cette intensité-là. Et cette intensité-là constitue à elle seule le véritable salaire de la peur...
Pas de vraie métaphysique au cinéma sans questionnement du langage cinématographique lui-même. Or le langage au cinéma ne se questionne qu'avec les yeux.