« Vous
rentrez à l’hôtel après avoir donné un spectacle dont vous êtes satisfait. Vous
allumez la télévision et vous voyez Fred Astaire danser… Et là, tout est remis
en question… »
Mikhail
Baryshnikov.
Fred Astair ne
crève jamais l’écran.
Il caresse la toile,
d'un geste distinct et d'un pas léger.
Car Fred Astair ne
cesse de retenir la danse. Ou, plus exactement, il semble toujours, déjà, être
en train de danser. Chaque geste du quotidien est ainsi précisément accentué
dans un enchaînement qui glisse imperceptiblement vers le rythme. Le jeu
d’acteur va vers le chant qui annonce la danse, organisant le passage du
quotidien au rêve à l’intérieur même de la narration.
Ces moments de
suspension entre réalité et rêve, où gestes quotidiens et danse se mêlent pour
quelques secondes, sont caractéristiques de l’art de Fred Astair qui nuance,
comme le peintre le ferait d’une gamme chromatique, une véritable gestuelle de
la danse. Une gestuelle précise et subtile car Astaire sait qu’au cinéma, dans
les salles obscures et démocratiques, chacun est au premier rang.
C’est d’ailleurs à un
peintre – Bocklïn – et à sa passion pour la Genèse des corps qu’Astaire
fait songer. « Un corps – dit Boclïn – ne subit pas uniquement l’attraction, mais contient également des
forces aériennes. » Astaire est l’homme qui a su se construire une
verticale. C'est là un acte fondateur pour n'importe quel être humain - les bébés le savent bien ! - et l'enjeu même du spectacle cinématographique qui, nous l'avons déjà écrit sur ce blog, est l'un des instruments les plus efficients que l’homme ait pu s'inventer pour se défaire du poids du monde. Stabilisant sa tête, y localisant presque son centre de gravité, le danseur
libère de la pesanteur un corps dans son entier qui entraîne alors à sa suite la partenaire,
l’autre qu'appelle le désir, dans le rêve. Ainsi est-il toujours question de montrer quelque chose
de l’amour, des étapes qui en font un parcours si particulier, de la rencontre
à l’acte lui-même.
Léger, Astaire s'affranchi sans
peine des conventions et, sous le règne intransigeant du code de censure Hayes, offre
tout de même au corps un lieu pour s’exprimer.
Chacune des danses de Top
hat induit un événement amoureux visant à combler la distance qui sépare
les corps et qui culminera dans l’abandon de Ginger Rogers. Elle s’éveillera
d’une danse, paradoxalement lesté d’un moment de légèreté ultime, ce quelque chose de l’amour
qu’il faut alors replacer dans la vie.
Pour en savoir plus sur l’étrange phénomène amoureux, il faut voir Fred Astaire ouvrir les mains pour qu’elles ouvrent à leur tour un espace à la danse, au cœur de la réalité.
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