2001. Encore. Ça n'est
pourtant pas mon film de chevet. Mais il me semble que c'est le film de chevet
du cinéma lui-même. Parce qu'il traite de la raison d'être même du cinéma.
De sa raison d'être encore aujourd'hui. En 2015.
Parce qu’aujourd’hui encore le film nous montre que l'important ça n'est
pas le singe mais le ciel derrière lui. Ou plutôt, plus exactement le rapport
mystérieux entre le ciel et le sol : la pesanteur et son désirable corolaire,
l'apesanteur.
Il fut un premier roi pour s’en plaindre. C’était au 7ème
siècle. C’était le « poids du monde », la charge sans fin sur les
épaules de celui qui doit régner. A sa suite les monarques apprirent l’art de
la plainte face à tant de responsabilités qui descendit en suites plus ou moins
royales – loi toute en gravité – jusqu’aux prolétaires de tous les pays, en
passant comme de droit par les aristocrates, puis par la bourgeoisie.
Quelques siècles plus tard, la vie était trop lourde partout et pour
tout le monde. Tous cherchaient la décharge…
Elle finira par prendre forme, et démocratiquement encore : le
cinématographe offrit « l’évasion pure » en demandant à l'homme fait
spectateur de lever les yeux au ciel, d'aspirer - à défaut de l'être
physiquement - à rejoindre un autre espace que le sien.
Encore un peu plus tard, ou plus loin, ou plus haut, le vol spatial
défiera la gravité du corps. L’homme ne se sépare pas aisément du désir, de
cette drôle de pulsion dirigée vers le haut, qui le pousse souvent vers de
lourdes technologies – paradoxe – visant à le défaire de l’encombrante
pesanteur de la réalité…
Le cinéma devient roi des singes - entendons le mâle dominant, le mâle
nécessaire, tout en agressivité -, le voilà sacré roi de la planète des signes alors qu'il lance
vers le ciel un os devenu arme, instrument de pouvoir, moyen d'assouvissement du
désir : et c'est alors la plus audacieuse ellipse de son histoire qui nous entraîne à sa suite
dans le vide et l'espace. Apesanteur autour d'un vestige d'animalité devenant le vaisseau de l'humanité : 2001 :
odyssée d'une espèce qui n'a de cesse que de se délester.
Cinéma et voyage spatial justement réunis par de similaires intentions : défaire l'homme du poids de son propre corps. Car le désir, ce voyage sans fin, doit se poursuivre. Au-delà de 2001. Bien après 2015...
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