Qu'est-ce que le cinéma ? A cette question bazinienne en diable, mille réponses possibles. Proposons-nous d'en choisir une : le cinéma c'est la matérialisation fragile du désir d’apesanteur que tout un chacun - nommons le spectateur pour la circonstance - ressent face aux vicissitudes de l'existence.
Le cinéma c'est la promesse d'un mouvement vers le haut.
Godard, bien sûr, ne dit pas autre chose lorsqu'il constate, pour dénigrer la télévision, que face au petit écran nous baissons la tête alors qu'au cinéma nous la levons.
Choisissons à présent un genre cinématographique. Certes, et nous l'avons déjà abordé sur le présent blog, la science-fiction se prête, à l'évidence parfaitement, à la démonstration d'un cinéma conçu pour répondre au désir de légèreté des masses. Les thèmes - par exemple le voyage spatial -, les effets spéciaux - point d'orgue du désir forain d'en voir toujours plus -, de nombreux éléments concourent en fait à créer une adéquation quasi-parfaite entre la SF cinématographique et la volonté d'apesanteur que nous portons tous en nous. Un peu trop peut-être. Partons de la science-fiction comme genre constitué et remontons le temps - le genre s'y prête après tout.
Choisissons alors un genre ancien à présent sinistré mais dont les chorégraphies de la trilogie "Matrix" par exemple, ont, sans doute, pris quelque part la relève. Parlons comédie musicale...
Qu'est-ce qui a pu fasciner tant de spectateurs dans les démonstrations physiques étourdissantes d'un Donald O'Connor dans l'emblématique "Chantons sous la pluie" sinon une prodigieuse capacité à s'arracher aux lois de la physique la plus élémentaire sous le coup d'un puissant désir. Qu'il s'agisse de figurer les premiers moments de l'amour ou de mettre en abîme ce devoir du cinéma consistant à arracher un public à son quotidien, une même machinerie se met en action : celle de l'évidente capacité du corps à se défaire pour un instant de son propre poids.
Lorsqu'il rendra hommage au genre, dans son sous-estimé "Tout le monde dit I love you", Woody Allen aura d'ailleurs symptomatiquement recours d'une manière aussi rare qu'explicite chez lui à ces fameux effets numériques qui ne cessent depuis leur apparition au cinéma d'en pointer une fonction essentielle, et sans doute ontologique : supprimer pour deux heures de temps le poids du monde pour un spectateur ayant déjà volontairement abandonné son corps au confort de la salle obscure. Mieux encore, et les cinéastes d'animation le savaient bien entendu depuis longtemps, ces effets numériques, s'ils malmènent à l'évidence le cinéma de la trace physique, de l'enregistrement du réel cher à Bazin, n'en prolongent que mieux un des désirs les plus profonds de ce medium aux consonances magiques : se défaire du poids ultime, celui de la caméra. On s'émerveillera encore des prodigieux mouvements d'appareil d'un Stanley Donen utilisant une caméra de quatre cent kilos montée à l'extrême pointe d'une louma, mais rien n'empêchera un cinéma d'essence foraine de se numériser à l'extrême pour accomplir le rêve secret de tout spectateur : prolonger et dépasser les limites des corps enregistrés pour ne plus simplement chanter sous la pluie mais pour bel et bien s'élever au-dessus des nuages...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire