mercredi 25 juin 2014

The man who shot Liberty Valence (L'homme qui tua Liberty Valence) 1962 de John Ford.



Je n'ai pas grand chose à dire sur ce film sinon qu'il m'est indispensable de le revoir une fois l'an depuis que je l'ai découvert à la télévision à l'âge déjà avancé de quatorze ans.


Je me suis bien souvent demandé pourquoi un tel besoin se faisait sentir. Adolescent déjà - adolescent surtout - d'autres westerns bien mieux achalandés en érotisme et en action avaient retenus mon attention. J'avais à faire ici à ce fameux "western de chambre" qui n'a que rarement la préférence de la jeunesse.


Alors quoi ?


Quand j'étais petit, et qu'on me racontait l'Histoire de France à l'école, j'avais le vague sentiment de ne pas en faire partie, en dépit de mon vif intérêt pour les meurtres, les massacres et autres génocides. Ou peut-être même à cause de cela. Comment aurais-je pu imaginer la petite ville où je grandissais avec un ennui poli au cœur du tumulte de batailles homériques ? Parce que c'est bien ça l'Histoire, non ?


J'ignorai  à l'époque que mon pays faisait partie du centre de l'Empire et qu'en tant que tel il était pacifié et productif tout en ayant astucieusement délocalisé sa violence - que certains nommaient "impérialisme" - mais qu'en retour, ce pays, et quelques autres avec lui, se trouvaient de plus en plus démunis idéologiquement.


Ce film a, dès la première vision, réussi le tour de force de m'impliquer bien au-delà de son récit jusqu'à une sorte de conscience, un rien diffuse au départ je l'admets, que je n'existais pas hors de l'Histoire. Le voisin croate de mes parents, le berger allemand de la voisine d'en face et mon copain Nicolas non plus. Disons que cette existence tangible de l'Histoire se traduisait par l'idée que le moment présent, jusque dans son organisation politique ne durerait pas éternellement. D'ailleurs le film s'ouvrait étrangement sur le cercueil de Tom Doniphon-John Wayne! Et ce plan impropre à la star était un choc incroyable tant il concentrait tout le poids du monde en son centre: la mort de celui qui, d'ordinaire, balayait d'un revers de main les aléas et le vicissitudes d'une existence pourtant autrement plus mouvementée que la mienne...  John Wayne se sacrifiait en dérogeant à tous ses principes pour permettre l'avènement d'un homme qui allait lui ôter toute possibilité d'avenir et nous, nous faisions tous partis du flux des siècles et du torrent de causes et de conséquences qui l'accompagne.

Ça alors ? Pourquoi ? Comment un tel prodige ?

A cause de la tragédie, pardi ! Aucun film ne m'avait jusque là fait ressentir à ce point le lien intime entre l'Histoire et la Tragédie. La vraie. La grande. Celle qu'on ne rencontre que chez les grecs de l'Antiquité ou les cow-boys du 20ème siècle. Celle qui remet du poids du monde dans l'onirique récit filmique.


Constat aussi aisé que rétrospectif. Mais qu'en est-il de la question de l'enfance? Comment un film peut-il s'ouvrir (ou presque) sur le cercueil de John Wayne ? En définitive, je ne le sais toujours pas car je ne veux rien savoir de tout cela. Et je sais que l'enfant en moi ne le saura jamais. Pour pouvoir se bercer encore d'illusions à l'occasion. Fût-ce d'illusions d'occasion. Ce que je sais en revanche, à chaque fois que je revois le film, c'est à dire au présent, c'est qu'au delà du spectacle social qui jamais ne s'arrête, quelque chose brûle quelque part, parce que son propriétaire en a décidé ainsi. Parce c'est parfois la fin d'une histoire avant que n'arrive celle du film. Et parce que la fin d'une histoire n'est jamais celle de l'Histoire tout court et toute grande.



Quelque chose avait été perdu à l'époque de mon enfance, cette époque d'après toutes les guerres d'ici. Et c'est ce quelque chose que m'a offert le film de John Ford. Quoi donc, à la fin ? Le sens du tragique qui est, qu'on le veuille ou pas, celui de l'Histoire. Au double sens du mot "sens" justement. A la fois direction et signification. 


Ce que sait ce film et qu'il montre à qui veut bien le regarder, c'est que la démocratie et la tragédie ont été inventées en Grèce au même moment, et ce pour une raison précise : la seconde permettait de garder à l'esprit l'importance - en en postulant la fragilité - de la première. 

Aujourd'hui, les héros sont super aussi. Ils volent et font toutes ces sortes de choses incroyables... Mais lorsqu'il leur arrive de tomber, jamais leur chute n'engendre de conséquences tragiques. Jamais vraiment. Peut-être le sens de la tragédie s'est-il définitivement perdu avec les super-héros? C'est ce sens-là, qui s'est lentement dissout au fil du temps dans les pays riches, que, chaque année, "L'homme qui tua Liberty Valence" me permet de garder à l'esprit...

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