vendredi 31 janvier 2014

The Thomas Crown affair (Thomas Crown) 1999 de John McTiernan.



Au commencement il y eu Mabuse. Le grand omniscient imaginé par Fritz Lang au moment où le parti national socialiste s'emparait de l'Allemagne. Au fil des épisodes, le contrôle du docteur le plus tristement célèbre de l'histoire du cinéma s'est renforcé. Du mesmérisme des premiers films –  « Docteur Mabuse le joueur » en 1922 et « Le testament du Docteur Mabuse » en 1933 – à la vidéo surveillance naissante du vrai testament du docteur – « Le diabolique Docteur Mabuse » réalisé en 1963 – laissé à son époque par un cinéaste aussi désabusé que visionnaire. La force de Mabuse c'est qu'il met le monde en cadres et exerce son contrôle sur chacun d'entre eux. La force de Mabuse c'est qu'il voit tout. Tout le temps.


Cinq ans plus tard, en 1968, « L'affaire Thomas Crown » de Norman Jewison va considérablement érotiser les méthodes de notre démiurge maléfique tout en popularisant une figure de style qui depuis a étrangement fait long feu : le split-screen, reflet fidèle de l'ère du panoptique et de la société de la surveillance généralisée. L'omniscience du criminel tout puissant y devient l'apanage d'un jeune et séduisant multimillionnaire à qui le temps long fait venir à l'esprit quelque projet de cambriole impeccablement fignolé. Le split-screen, l'écran partagé en deux, en trois, en quatre espaces et plus encore, distincts et simultanés, vient alors exprimer cette obsession du contrôle chez qui s'en trouve être la première victime : l'absence d'imprévu engendre chez le sémillant Monsieur Crown des abysses d'ennui.


Le plan, naïvement considéré comme la plus petite unité signifiante du film, s'en trouve largement complexifié. « L'affaire Thomas Crown » propose un dispositif narratif au croisement de l'histoire du cinéma et de la sérigraphie warholienne emblématique des années Pop.


Comme au temps du muet et de ces surimpressions délirantes (qu'on se rappelle le montage aussi vertical que forcené chez Abel Gance tout particulièrement), le plan révèle à nouveau sa nature profondément composite. Non, l'espace n'est pas plus « un » au cinéma que dans la vie réelle. Et, à l'heure de la prolifération des caméras en tous genres, c'est même l'essentiel de cet espace réel qui se trouve aujourd'hui mis en scène, mis en cadres, non par les professionnels du cinématographe mais bien plutôt par ceux de l'ordre des choses. Le problème, à la fois éthique et cinématographique, de la liberté de circulation ne s'en pose qu'avec plus de légitimité.

La question posée par un remake n'est plus alors « pourquoi ? » mais bel et bien « comment » (re)faire « L'affaire Thomas Crown ». Déception chez les fans du film original, mais trait de génie d'un cinéaste spécialiste du traitement de l'espace, John McTiernan renonce d'emblée à partager l'écran. Le Thomas Crown fin de siècle passe donc de l'autre côté de la caméra et sera, de fait, bien plus acteur que réalisateur. C'est là toute la différence avec son homonyme des sixties qui proposait de discourir des limites du contrôle pour un  personnage confronté, au mi-temps de son existence, au phénomène incontrôlable de l'amour, au floutage sans appel des projections stratégiques.



Comment remettre en circulation Thomas Crown au beau milieu des caméras que braquent sur lui des forces de police excédées par les manières bien cavalières du dandy escamoteur de toiles de maîtres ? Comment permettre à la star qui l'interprète, Pierce Brosnan, l'agent secret le moins secret de la planète, de se déplacer librement d'un plan à l'autre ? Par un double emprunt à l'histoire de l'art.

René Magritte tout d'abord, l'homme des mystères retrouvés au cœur d'images qu'on aurait pourtant pensé pouvoir regarder les yeux fermés. Soit un autoportrait de Thomas Crown en « Fils de l'homme ».




Eh puis Warhol bien entendu, l'homme qui multiplie l'image des célébrités du cinéma jusqu'au vertige et qui s'en prendrait ici, jusque bien après son décès – mais c'est là l'un des pouvoirs du cinéma –, au visage de l'homme dissimulé derrière la pomme du péché.


Original. Remake, remake, remake, nous hurle à chaque instant la fiction. Et c'est le corps qui confond l'espace, prend le dessus, le dessous, s'empare de toutes les directions, fabrique la désorientation.

L'original a disparu. Car c'est en multipliant le visible (à l'image de la star s'ajoute celle de la toile célèbre que viennent encore surligner une technique non moins fameuse de reproductibilité assumée) que Thomas Crown devient invisible, c'est en étant présent dans tous les cadres à la fois qu'il accède à l'anonymat, échappe au cadre ainsi qu'a sa loi, qu’il se soustrait aux forces d’un ordre qui cherche à l’immobiliser, se fond tellement dans le décor – nouvelle définition du « tableau vivant » – qu'il peut dès lors le parcourir librement. Thomas Crown est un acteur qui ne joue que pour déjouer. Pour déjouer la mise en scène de pacotille, policière ou de blockbusters, celle qui n’opère aucun choix mais « se couvre » sous toutes les coutures en recherchant toutes les images. Aux caméras qui dévisagent, Crown ne dispense pas son visage, mais leur offre leur lot d’images. Et il y en aura pour tout le monde. Malgré tout, c’est la bousculade. Parce que Thomas Crown est partout. Et qu’il est le seul à savoir qu’il ne faut pas croire tout ce qu’on voit. 


















Le cinéma rappelle ici qu’il est l’art du reproductible, qu’il est l’art de la reproduction, que par ailleurs il est une industrie. Que la fabrique, la « factory », avant d’avoir été investie par la peinture, était en fait son moyen propre.  L'art passe alors littéralement dans la vie – dans un musée c'est inopiné – pour lui permettre à nouveau ce mouvement qui la caractérise. « Je suis légion » nous montre-t-il. Il y a là un petit précis de survie en société pour Thomas Crown et le « Sinnerman » qui l'accompagne sur la bande originale. Et même un peu plus que cela. Car notre homme se propose ni plus ni plus ni moins d'accomplir un projet ancien : celui du situationnisme qui fait de la traversée du monde ordonné par la loi un véritable « jeu de société ». Cette société dont Thomas Crown s'est lassée à force de la posséder.

Au double sens du terme.

Si le film de 1968 multipliait sensuellement les images, la version 99 fait proliférer le corps de l’acteur jusqu’au débordement total, jusqu’à la subversion sans partage de sa propre représentation. Avec Thomas Crown c’est le cinéma, c’est le mouvement, c’est la vie qui reprennent leurs droits sur la société.

Rear window (Fenêtre sur cour) 1954 d'Alfred Hitchcock.





Qu'est-ce qu'un spectateur de cinéma ? Un spectateur de cinéma est un être minoré. Et volontairement, de surcroît. En échange d'une somme plus ou moins modique, le spectateur de cinéma accepte un étrange contrat : renoncer à ses capacités motrices ainsi qu'à trois de ses cinq sens.




Il existe, on le voit, une communauté de destin entre personnage et spectateur : l'un et l'autre sont prisonniers dans leurs fauteuils respectifs, du cadre ou de la salle, l'un et l'autre sont soumis à une force centrifuge. Mettre en scène est un combat contre des forces physiques paralysantes. Mettre en scène est un combat en faveur de la libre circulation de personnages qui, à l'aube du cinéma, étaient condamnés à subir la loi du cadre. Les vues d'Auguste et Louis Lumière ou les tableaux de Georges Méliès étaient clos sur eux-mêmes. De cette immobilité originelle, héritée de la peinture et de la photographie, le cinéma garde la marque durable : espaces sur-cadrés, personnages sujets à diverses formes d'enfermement ou d'entraves, comme autant de papillons épinglés par le pouvoir mortifère de l'image.


Lorsqu'il va se constituer en langage, le cinéma, art du mouvement – c'est bien-là sa spécificité et son honneur – va se concentrer sur un but essentiel, esthétique et politique : permettre, organiser et pérenniser des dynamiques humaines. Échapper au cadre, cinématographique ou social, c'est échapper au rôle déterminé par avance, c'est conserver la capacité de se déplacer au sein de structures aliénantes et immobilisantes dont le cadre est la figure tutélaire.

Si, pour le personnage, la dynamique s'avère concrète à l'intérieur de la diégèse, de l'histoire qui nous est proposée, pour le spectateur ce mouvement prend la forme d'un transfert. De quoi s'agit-il sinon de se projeter dans un autre corps. Dans « Fenêtre sur cour »,  Lisa Fremont devient donc – in fine –, pour la figure de spectateur que représente Jeffries, une sorte d'avatar – un corps de substitution qui va lui permettre de se déplacer dans l'écran constitué par la fenêtre de son voisin d'en face, écran sur lequel le personnage projette une fiction criminelle –  un meurtre a-t-il ou non eu lieu dans le cadre de cet appartement ? – plutôt que de s'intéresser à sa propre existence et au mariage prochain que lui propose la jeune femme avec une insistance habile. Et ce n'est qu'en se coulant dans le fantasme de mort de l'être aimé que Lisa parviendra à faire valoir ses sentiments amoureux.









Il y a dans cette manière de projection du corps immobile dans une forme dynamique quelque chose qui annonce, au mi-temps des années 1950, le dispositif du jeu vidéo en accomplissant déjà le trajet de l'identification à l'immersion pure et simple...


S'immerger dans l'ailleurs (fût-ce simplement de l'autre côté de la cour), pour oublier le poids de sa propre vie, pour plonger dans celle de l'autre, voilà le but de tout spectateur de film. Le cinéma joue, pour nous tous, ce rôle émancipateur. Il est le moyen de la fuite, de l'évasion hors de notre propre cadre de vie. Et pour cela, il se doit d'entretenir une circulation entre des plans qui, tous autant qu'ils sont, enferment les différents protagonistes dans des logiques inexorables. Ce sont, les différentes fenêtres de l'arrière cour où sont rendus visibles les différents moments de l'amour – solitude et tentation du suicide, romantisme sublimée dans la musique, vie de famille, jeunes mariés insatiables, pin-up désinhibée, mariage qui tourne à la tragédie meurtrière... Ce petit théâtre des configurations variables du désir aidera Jeffries, au bout du compte, à accepter son sort : passer du célibat au mariage, d'un enfermement l'autre, d'une jambe cassée aux deux jambes plâtrées...

Qu'est-ce que mettre-en-scène alors, si ce n'est fabriquer un spectateur à l'aide d'un récit et de personnages plus ou moins fictifs. C'est en 2009 que le film d'Alfred Hitchcock, réalisé en 1954, trouvera son point d'accomplissement. « Avatar » fusionne en effet les personnages de Jeffries et de Lisa en une seule et même entité. Soi-même et l'Autre réunis dans un même corps pour produire un authentique miracle : faire marcher, courir, bondir un paralytique. Mettre en scène c'est alors lutter jusqu'au prodige pour échapper à la pesanteur du monde et à la force centrifuge du cadre. Ce n'est qu'à partir du mouvement retrouvé, de cette décharge du poids d'un corps inerte que le scénario lui a jusque là assigné, que le marine Jack Sully pourra sortir du rôle d'espion, de pur voyeur, que l'armée – cadre social radicalisé – l'oblige à tenir dès le départ. « Avatar » ne raconte rien d'autre en définitive que la révolte d'un personnage contre un cadre trop restrictif, contre un scénario de la conquête qui ne lui convient pas et auquel il préférera celui de la compréhension de l'Autre, c'est-à-dire de cette posture qui consiste, étymologiquement, à prendre l'Autre -littéralement ici – avec soi.













dimanche 26 janvier 2014

Gravity 2013 de Alfonso Cuaron.



On pourra causer scénario et message, psychologie des personnages ou je ne sais quel autre marronnier, il n’en restera pas moins que le cinéma n’a pas grand-chose à voir avec tout ça. On pourra faire tous les procès au cinéma commercial. On pourra même faire le blasé face aux effets spatiaux du blockbuster de fin d’année, il n’empêche qu’on est avec « gravité » face à la raison même de pourquoi nous allons au « ciné ». 

Une petite redescente sur terre s’impose alors. Doublée d’un petit retour vers le passé. Tout ça pour bien réaliser que la rencontre entre le vol spatial et le cinématographe est pour tout dire inévitable dans la mesure où notre ami le cinéma, notre bon ami du samedi ou du dimanche après-midi, incarne quelque chose de cette pulsion vers le haut, vers la décharge que nous cherchons, à laquelle tous nous aspirons, du poids insupportable de la réalité.

Un philosophe, Peter Sloterdijk, s'est intéressé à tout ça. "Tout ça" c'est le pouvoir du cinéma ou comment l'illusion est en affaire avec le réel. "Tout ça" c'est un poids sous l'apparence de son absence. Et ce poids-là, c’est ce que les rois du 17ème siècle ont dénommé le « poids du monde ». Celui qu’on a sur les épaules et dont il faut bien se plaindre – c’est humain et c’est nécessaire – pour pouvoir le supporter. L’art de se plaindre de sa fonction – car ça en est un – est ainsi descendu, au fil des révolutions et des circonvolutions de l’Histoire, des rois à l’aristocratie, de l’aristocratie à la bourgeoisie et de la bourgeoisie au prolétariat. Sans doute la véritable démocratie est-elle dans la plainte, enfin généralisée, du poids d’une vie trop lourde dont il faut bien se décharger de temps à autre.

A ce stade et pour le prolétariat, la réponse logique c’est le cinéma : une machine de rêve, c’est-à-dire un possible, une possibilité de décharge à portée de tout le monde. Pourquoi ? Parce qu’au cinéma, on a tous les droits. Comme celui de rire du bon père de famille qui glisse sur la chaussée devant ses cinq enfants médusés. Parce que le cinéma c’est l’entre-deux – ombre et lumière, vérités et mensonges, croyance et doute, fictions et documentaires. Et dans cet entre-deux parallèle à notre réel, personne n’est obligé de se positionner. On peut simplement s’y cacher pour observer sans jamais rien décider. Le cinéma primitif a montré cela clairement : l’évasion pure, la plaisanterie non diluée, la joie concentrée d’échapper aux lois du sol. Et surtout, surtout, l’absence absolue de prétention artistique tout en manifestant en même temps cette tendance à la décharge de toutes les responsabilités pour le vaste monde du commun.



Bien sûr, il a fallu devenir le septième art. Et pour cela, pas de mystère, le cinéma a dû réintroduire du poids du monde dans ses affaires. C’est là la ligne de séparation entre le cinéma d’auteur et le cinéma commercial : le premier pèse plus lourd que l’autre en cherchant à se confronter à la réalité plutôt que de nous en arracher.

Et le cinéma est devenu la machine à se débarrasser tout à trac pour ceux qui triment et s’offrent avec les films un luxe. Celui d’être une fois dans la semaine des partisans du moindre effort. Et voilà qui n’a pas de prix en échange de quelques euros.

Et « Gravity » me direz-vous ? Eh bien « Gravity » est aussi bien à entendre qu’à voir. A entendre au sens premier. Au sens de « gravité », de ce qui est grave, de ce avec quoi on n’agit pas avec légèreté. Une séquence ? Alors une seule : Sandra Bullock tractée comme le poids mort qu’elle s’imagine être dans le silence du cosmos par un George Clooney épuisant à force de légèreté. Je sais c’est ridicule. Mais il faut pour comprendre oublier la télé, le café, la publicité, le jeu fébrile et les effets spéciaux qui dans deux ans seront affreusement datés. Tout ça n’a rigoureusement aucune importance. Ce qui compte c’est ce qu’on voit et ce qu’on entend et le rapport entre les deux. Et que voit-on ? Deux corps flottants, légers, si légers dans l’espace infini. Et c’est très beau quoi qu’on en dise. Mais qu’entend-t-on ? La fameuse histoire du trauma qui tient lieu de psychologie aux personnages des blockbusters depuis bientôt quarante ans. Et c’est très prévisible quoi qu’on en pense. Mais le rapport entre les deux ? L’apesanteur et la pesanteur réunis par l’image et le son. Point de tension entre ciel et terre. Mariage du ciel et de l’enfer. Gravité, donc.













Le cinéma – qui n’était pas spécialement né pour raconter des histoires – fait comme cela sans cesse la preuve qu’il est constitutivement capable de séparer la narration (la triste et lamentable histoire de Sandra Bullock dans l’espace) de cette fonction imaginaire qui consiste à mettre en scène, pour le spectateur, des manières d’être au monde, c'est-à-dire – et ici littéralement – dans l’espace. Car la question du cinéma n’est en rien "qui sommes-nous" ?, mais toujours "où sommes-nous" ? Le cinéma n’est pas un art de la profondeur. Laissons le soin à la littérature où même à la peinture d’empiler les feuillets et les couches. Le cinéma c’est l’art mince de la pellicule, qui remplace la faible profondeur par le plus d’espace parcouru. Le cinéma c’est l’art du mouvement et du déplacement. Et « Gravity » est le film du retour sur terre. Après la projection enjouée de la fusée de Méliès jusque sur la lune, après le voyage inquiétant de 2001, odyssée au bout de laquelle on se trouvait soi-même, il faut à présent régler nos petites affaires, nos petits affres, en décidant d’aller nous remettre sur pieds là où c’est encore possible : affronter la pesanteur est le dernier défi du blockbuster, toujours en quête de ce qui lui manque le plus, de masse encore et toujours. De l’espace nous partirons donc pour aller nous colleter avec la réalité. « Gravity » raconte à ses spectateurs, assis comme les astronautes à l’écran, dans un fauteuil  qui se déplace, comment il va leur falloir en une heure et demi prendre la décision de sortir de la salle pour aller retrouver leurs vies.

« Gravity » ou le blockbuster remède à la mélancolie. Car le voilà l’autre nom du poids du monde. Ce qu’on nomme aujourd’hui dépression. Il y a, dans le film d’Alfonso Cuaron, une définition du cinéma à l’état brut. Celle d’un médium qui nous propose à tous l’ultime décharge : une vision impossible, celle du regard de Dieu sur la terre, Dieu qui, dans la contemplation du cosmos, oublierait qu’il s’agit de son propre effort pour jouir simplement du spectacle. Quelque chose comme une contemplation pure. Quelque chose comme une drogue optique : la terre vue de l’extérieur. Ainsi en va-t-il de Krikalev resté longtemps, si longtemps, sur la station MIR alors que l’URSS s’effondrait au-dessous de lui en 1991. Krikalev ne savait pas s’il redescendrait jamais et a confié ne pas s’être tué par la grâce de la contemplation du monde qui lui a permis très souvent d’oublier jusqu’au passage du temps. Extase permanente qui nous détourne de la mélancolie. Contre-champ, point de vue inversé, opposé à la version « sérieuse» de « Gravity » qui se nomme comme de juste « Melancholia » et où, depuis la terre, quelques habitants sont chargés de tout le poids du monde jusqu’à ce qu’en advienne la fin.

Et avec elle, la mort du cinéma : enfoncement, empêchement, écrasement. Tout le poids du monde sur les épaules nous dit-on. Lente extinction de l’art du mouvement et de l’apesanteur. Quelque chose comme une thématique "robe de mariée et semelles de plomb".




En rupture avec le courant de films de fin du monde qui s’est imposé depuis quinze ans, le faussement naïf « Gravity » va chercher comme à la parade les premiers chevaux du cinéma – ceux du photographe Edward Muybridge décomposant le galop pour la première fois en 1874 – pour les lancer de nouveau dans un "ride" forain (car le retour sur terre pour le cinéma c'est le retour aux origines, celles du cinématographe), là où le morbide « Melancholia » paralyse symboliquement l’animal. On pourrait le dire autrement : « Gravity » a l’immense courtoisie d’engendrer autre chose que la mélancolie. On pourrait le dire ailleurs : « Gravity » organise notre retour au réel dans les meilleures circonstances possibles c'est-à-dire en (film-) catastrophe.





Alors quoi ? On peut en dire tout ce qu’on veut. On peut même avoir un avis. Mais il n’empêche, quoi qu’il arrive, qu’avec « Gravity » le cinéma court toujours.