« Crash », que réalise
en 1996 David Cronenberg, reproduit pour la détourner une esthétique toute
publicitaire. "Crash", c'est la fabrique de l'image lisse, rutilante, métallique,
inhumaine à force de perfection glacée. « Crash » n'est pas à
proprement parlé un film sentimental...
« Crash » raconte, en
surface – celle de l'image pour l'image, comme ivre d'elle-même –, l'histoire de quelques êtres policés
que fascinent les aspérités du corps et les bleus de l'âme, coupés du simple
plaisir d'exister par le monde des images, des représentations, et qui, pour éprouver encore quelque chose doivent
s'éprouver eux-mêmes radicalement à l'aide de quelques autres, leurs semblables en solitude. Pour cela, il leur faut reproduire sans fin le seul lien que tous nous avons avec le passé, avec l'Histoire : l'image.
Des accidents célèbres agencés de
nouveau et à la perfection lors de cérémoniaux secrets vont ainsi servir de
vecteur à une étrange contamination par l'image que le cinéaste
conçoit comme virale, drogue optique qui, inoculée par l’œil, est destinée à
contaminer le corps, c'est à dire à régir les faits et gestes de ceux qui
regardent, cette frange à présent dominante dans l'espèce humaine qui s'est trouvé
pour nom « spectateurs ».
Andy Warhol déjà – avec, mettons,
la série fameuse des « Car crash » – avait annoncé l'épidémie
ravageuse des images n'ayant pour seule force que leur plasticité sans limite,
c'est à dire leur reproductibilité sans fin. Et peu importe alors les limites de la plasticités de corps qui, une fois photographiés, trouvent dans l'image une nouvelle forme d'existence. Peu importe qu'avec la voiture,
s'achète aussi, en un point indéterminé de l'espace et du temps, l'accident qui
mêlera brutalement la chair et le fer car l'image viendra produire avec cela un tout parfaitement homogène.
L'accident fera-t-il alors encore office de point de
contact sans retour entre l'image et le réel ? C'est à cette question qu'une poignée de femmes et d'hommes tentent de trouver une réponse ici. C'est cette béance, ce passage entre deux dimensions du monde et de sa perception que recherchent les personnages du film sans jamais parvenir à la trouver.
Qu'ajouter à ce constat un rien
déprimant pour qui s'attarde à y songer un peu plus longtemps qu'il n'est
nécessaire à la simple contraction du virus ? Que le cinéma – monde
parallèle au notre – a peut-être une étrange vertu qui s'accorderait fort
bien avec son pouvoir infectieux : en effet, le cinéma est à bien des
égards comparable à un vaccin. Qu'est-ce que l'image cinématographique sinon le
possible de confondre notre regard avec celui de l'autre pour une durée
déterminée ? Dès lors si l'image est d'origine virale, pourquoi ne pas la
considérer au cinéma – c'est à dire sous cette forme de l'image – le plan – qui vise à faire sens par la succession – comme un vaccin potentiel, soit
comme le moyen d'une inoculation qui, au final, immunisera son spectateur contre
le mal contenu dans l'image elle-même ?
De l'imagerie publicitaire, pure
superficie, pur espace de superficialité réduisant également son spectateur à
la platitude, le film ne va tirer aucune profondeur – les
personnages n'auront pas évolués d'un iota à la fin du film – mais va plutôt
parcourir une immense surface, cartographier le vide intérieur à l'aune de la
répétition inlassable d'un nombre réduit d'éléments confinant à l'obsession.
C'est à dire traiter l'image pour ce qu'elle est, physiquement : une
surface sans commencement ni fin sur laquelle nous nous déplaçons ou qui, plus
exactement, se déplace sur nous comme en une projection continuelle. Esthétique
de la répétition et non de la progression dramatique et glissements successifs
de personnages qui restent à la surface, « font », littéralement,
surfaces, se fondent en une surface uniforme et donnent de trajet en trajet, de voiture en voiture,
d'accident en accident, une définition de l'homme contemporain : il n'est
plus celui de la profondeur psychologique mais celui qui couvre – virtuellement
– le plus de surface possible dans un monde d'images clôt sur lui-même qui le coupe sensiblement
de l'émotion réelle, du sentiment même du réel.
Qu'est-ce que « Crash » alors, sinon la (re)présentation
d'une quête qui tourne à l'errance, celle d'être prisonniers d'une
dimension virtuelle – constituée par les images – à la recherche d'une issue
vers des affects dont les accidents seraient un possible catalyseur. Hélas, si la
sensation, le sensationnel est au rendez-vous, manque, systématiquement l'émotion c'est à dire, et paradoxalement, le point de contact.
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